Chiffres clés
- Le logement indigne représente 5 % des résidences principales privées en Île-de-France, soit 180 000 logements.
- En Seine-Saint-Denis, une maison sur 100 a fait l’objet d’une division entre 2003 et 2013. Dans certaines communes, la division pavillonnaire peut représenter jusqu’à 40 % de l’offre.
- Les loyers atteignent des montants indignes : 650 € / mois pour 15 m² à Pierrefitte-sur-Seine, 600 € / mois pour 16 m² à Stains.
- 20 millions d’euros : c’est le montant que l’EPFIF s’apprête à mobiliser pour expérimenter le rachat de pavillons et stopper ainsi le développement des marchands de sommeil. L’expérimentation porte sur deux zones très concernée : Aulnay-sous-Bois ; le bassin de vie de Montfermeil et Clichy-sous-Bois.
Selon l’ANAH, environ 180 000 logements privés sont potentiellement indignes en Ile-de-France, soit près de 5 % des résidences principales privées, qu’il s’agisse de pavillons divisés, d’immeubles et locaux insalubres (caves, sous-sols, combles), d’immeubles en ruine, d’hôtels meublés dangereux ou d’habitats précaires.
Au-delà des chiffres
Il est particulièrement délicat de mesurer de manière précise le développement du phénomène, dans la mesure où cette activité frauduleuse est complexe à évaluer, contrôler et endiguer. Selon une étude de la Drihl, les divisions ont augmenté de 5% en Seine-Saint-Denis sur la période 2007-2013 par rapport à 2003-2009. Ces divisions sont, par nature, clandestines et souvent invisibles de l’extérieur et, par conséquent, difficiles à recenser. Une maison sur cent, en Seine-Saint-Denis, aurait fait l’objet d’une division au cours de la période 2003-2013. Dans certaines communes, la division pavillonnaire peut représenter jusqu’à 40 % de l’offre de logements. Toutes ces divisions pavillonnaires ne sont pas frauduleuses. Elles peuvent être un moyen de créer du logement là où l’offre est insuffisante. Néanmoins, cette dernière doit être encadrée pour ne pas laisser la place à des propriétaires peu scrupuleux.
Les territoires les plus touchés ont des caractéristiques communes. Ils jouissent généralement d’une forte attractivité locative du fait d’une desserte de transports en commun, d’une intervention publique dans les quartiers proches grâce au plan de rénovation urbaine créant des « effets de report » sur les quartiers pavillonnaires proches, mais aussi de la proximité d’industries et d’aéroports qui font peser des contraintes sur le marché immobilier.
Le phénomène est d’autant plus préoccupant que ces divisions pavillonnaires s’étendent progressivement, par effet de tâche d’huile ou « de grappe », à l’échelle d’une rue ou d’un quartier. Ce mitage crée, par effet de contagion, de véritables zones d’habitat indigne, dévalorisant durablement des zones pavillonnaires entières. Un risque systémique apparaît, qui, sur la base de situations de non-droit, peut créer un déchirement du tissu territorial et social. Pour identifier les communes potentiellement concernées par la division pavillonnaire à risque, plusieurs critères premiers sont utilisés : nombre élevé de maisons individuelles potentiellement indignes, nombre important de logements créés issus de la restructuration du bâti existant, prix de transaction pour les maisons individuelles inférieur à la moyenne départementale. La Drihl recense de nombreuses communes de Seine-Saint-Denis qui abritent des maisons divisées et dont les spécificités sont propices au développement des activités de marchands de sommeil.
L’action des maires sur le terrain est remarquable. Ils effectuent un véritable travail de fourmi qui permet de recenser les situations. Ils tentent d’apporter des solutions, notamment de relogement, aux victimes des marchands de sommeil mais ne disposent pas de moyens suffisants pour imposer des sanctions véritablement dissuasives. La diversité des textes en vigueur nécessite, en effet, un personnel spécifique et formé, hors de portée pour certaines communes.
Qu’est-ce qu’un marchand de sommeil ?
Il n’existe pas de véritable définition juridique de « marchand de sommeil ». en raison de la diversité du phénomène. Il peut, en effet, s’agir d’individus dont les revenus de marchands de sommeil sont souvent indétectables (paiements en liquide, placements off-shore, etc.), qui possèdent plusieurs appartements à plusieurs adresses. En cas de poursuite, ils ont souvent les moyens d’organiser leur propre insolvabilité via des sociétés écrans ou des hommes de paille. Les marchands de sommeil peuvent aussi être des propriétaires d’un ou deux logements, à faibles revenus et qui, ne pouvant faire face aux charges de propriétés ou aux travaux nécessaires, louent ces logements afin de se constituer un revenu complémentaire de leur salaire ou de leur retraite et se retrouvent, consciemment ou pas, en infraction. Enfin, les marchands de sommeil peuvent être des chefs de filière d’immigration clandestine. Ces personnes louent, souvent à une même adresse ou dans un même immeuble, à plusieurs ménages ou familles, de leur nationalité ou de leur région d’origine, très souvent en situation irrégulière. Les locaux concernés peuvent parfois abriter des ateliers de travail clandestin. Les marchands de sommeil « professionnels » n’hésitent pas à louer au matelas, c’est-à-dire une même pièce à plusieurs personnes, avec des horaires pour y dormir afin de louer plusieurs fois le même espace en 24 heures. Certains locaux-poubelles peuvent même parfois servir de chambre.
Qu’est-ce que l’habitat indigne ?
Aux termes de la loi, « constituent un habitat indigne les locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ».
Ce sont donc toutes les situations dans lesquelles l’état des locaux, installations ou logements, expose leurs occupants à des risques dont le traitement relève des pouvoirs de police, exercés par les maires et les préfets selon la nature des désordres constatés (art 84 de la loi de mobilisation et de lutte contre l’exclusion du 25/03/2009).
Pourquoi le phénomène se développe ?
La lutte contre l’habitat indigne constitue en Ile-de-France un enjeu majeur. La tension du marché et la saturation du parc social ne laissent pas d’autre choix à des populations de plus en plus en difficulté, exclues du marché classique du logement, que de trouver refuge dans les segments les plus dévalorisés de l’offre : situations de sous-logements dont tirent profit propriétaires indélicats ou véritables marchands de sommeil.
Initialement dans les copropriétés en difficulté ou les centre-villes anciens, le phénomène se développe fortment dans les zones pavillonnaires par des divisions pavillonnaires, mais également dans les zones rurales, par des divisions de vieilles fermes en plusieurs logements. Les marchands de sommeil s’adaptent aux évolutions de l’action publique.
Les acteurs de la lutte contre les marchands de sommeil
Le maire et le préfet, en lien avec l’Agence régionale de Santé, disposent de moyens d’agir. Le traitement de l’habitat indigne relève, selon les cas, des pouvoirs de police spéciale exercés par les maires et les préfets. Leur exercice se traduit par la prise d’arrêtés qui prescrivent des travaux et/ou toute autre mesure nécessaire : hébergement transitoire, relogement, etc. Dans le cadre du pouvoir de police générale et face à un danger imminent, le maire peut aussi prendre toute mesure utile comme l’évacuation immédiate. Dès lors que les prescriptions prévues par les arrêtés de police spéciale n’ont pas été intégralement respectées dans les délais fixés, l’autorité compétente peut les faire exécuter d’office, en lieu et place et aux frais des propriétaires. Les dépenses engagées en exécution d’office sont ensuite recouvrées auprès du propriétaire. Il est possible de garantir la dépense sur le bien lui-même par un privilège spécial immobilier.
L’Agence régionale de santé (ARS)
L’Agence régionale de santé (ARS) assure la mise en place des pouvoirs de police du préfet concernant l’insalubrité. Elle a l’obligation d’intervenir sous l’angle de la santé dans l’habitat dès qu’il existe un risque pour la santé des habitants. L’ARS peut être informée de situations relevant de l’habitat insalubre à la suite d’une plainte des occupants ou de tout signalement émanant d’une personne ayant connaissance d’un logement présentant un risque pour la santé de ses occupants : travailleurs sociaux, forces de l’ordre, agents communaux, services départementaux d’incendie et de secours, associations, particuliers, etc. En Île-de-France, cette enquête est assurée soit par les agents de la Délégation Territoriale (DT) de l’ARS du département concerné, soit par le Service communal d’hygiène et de santé (SCHS) lorsqu’il existe, ou encore par le Service Technique de l’Habitat (STH) si le logement concerné se situe à Paris.
Le Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques (CODERST)
Donne un avis sur le rapport d’enquête établi après expertise sanitaire pour justifier la prise d’un arrêté. En fonction des situations rencontrées, ces prescriptions pourront s’assortir d’une interdiction temporaire ou définitive d’habiter, ce qui marque l’obligation pour le propriétaire d’héberger temporairement pendant la durée des travaux ou de proposer un relogement pour les occupants. Le paiement des loyers ainsi que le bail seront suspendus tant que le logement sera visé par l’arrêté d’insalubrité. Les allocations logement versées par les organismes de prestations sociales seront elles aussi suspendues.
Le Magistrat référent pour l’habitat indigne
L’autorité judiciaire dispose aussi de moyens qui lui sont propres. Chaque Parquet francilien comprend un service spécialisé avec un magistrat référent pour l’habitat indigne. Le Parquet s’intéresse au propriétaire auteur de l’infraction, à l’hébergeur et non à la victime de l’habitat indigne. Son rôle est de voir quelles infractions peuvent être retenues et, pour cela, diligente une enquête de police afin de réunir le maximum de preuves. Les services fiscaux sont associés pendant l’enquête de police pour vérifier s’il existe une organisation de l’insolvabilité ou un blanchiment de fraude fiscale. Le Parquet n’est quasiment jamais saisi par l’habitant, mais souvent par des associations dont le rôle d’apport des preuves s’avère souvent décisif. Au tribunal de Grande Instance de Bobigny, chaque année, 100 à 150 enquêtes sont ouvertes en habitat indigne. Bien plus que des réseaux constitués, les dossiers concernent en majorité des propriétaires dont la situation financière est précaire. Le TGI de Paris dispose d’un référent habitat indigne au Parquet pour la seule ville de Paris. Il est assisté par un groupe de cinq enquêteurs spécialisés et spécifiquement dédiés. La constitution de partie civile des villes est souvent précieuse sur le plan judiciaire.
Les Préfectures
Les pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne (PDLHI) sont pilotés par les préfectures en lien avec le Conseil départemental et avec les communes dotées de services communaux d’hygiène et de santé. Ils ont pour missions le développement du repérage de terrain mobilisant tous les acteurs potentiels, le traitement commun des plaintes et signalements, la mise en œuvre de l’exécution d’office des mesures prescriptives – travaux, hébergement, relogement – chaque fois que nécessaire, l’accompagnement des communes les moins armées pour la mise en œuvre des polices générales et spéciales, l’accompagnement social des populations le nécessitant et le lien avec les magistrats référents auprès des Parquets.
Les Services Communaux d’Hygiène et de Santé (SCHS)
Certains Services Communaux d’Hygiène et de Santé (SCHS) existent aussi. La couverture de l’Ile-de-France en SCHS est aujourd’hui déséquilibrée. En effet, elle est étroitement liée aux lois de décentralisation de 1983 qui ont retenu une liste de SCHS fixée par décret en 1984 et non revue depuis. Cette liste, qui permet le versement d’une dotation générale de décentralisation, est obsolète, ce qui induit une inadéquation entre les moyens et la couverture territoriale. A titre d’exemple, la ville de Clichy-sous-Bois ne dispose pas de SCHS ni de dotation de l’Etat.
La SOREQA (Société de requalification des quartiers anciens dégradés)
Autre acteur, la SOREQA (Société de requalification des quartiers anciens dégradés) est, pour sa part, une société publique locale d’aménagement. Elle constitue un outil au service des collectivités membres (Paris, Plaine Commune, Est-ensemble, Nanterre) qui lui confient des opérations d’aménagement via un traité de concession. Elle poursuit un objectif d’intérêt général et a pour mission notamment l’accompagnement des copropriétés dégradées, l’achat amiable ou l’appropriation publique pour requalifier ou démolir, la possibilité de gérer (travaux de sécurité), l’accompagnement des occupants jusqu’au relogement et la cession de droits.
L’Établissement Public Foncier Île-de-France
Ces dernières années, l’action publique s’est renforcée dans la lutte contre l’habitat indigne, plus particulièrement à destination des copropriétés dégradées et de leurs immeubles en Ile-de-France. Les opérations d’envergure nationale, les ORCOD-IN, dont l’EPF Île-de-France coordonne l’ensemble des actions, contribuent à endiguer une économie illégale qui repose sur l’exploitation de la misère.
Acteurs privés et les associations
Parallèlement, les acteurs privés et les associations accompagnent les victimes de marchands de sommeil. Par exemple, la Fondation Abbé Pierre, via l’ESH (Espace Solidarité Habitat) travaille avec un réseau d’avocats parisiens intervenant dans le cadre de l’aide juridictionnelle. La Fondation travaille en partenariat avec les opérateurs, les travailleurs sociaux, le procureur pour des signalements, accompagne des personnes au contentieux et la constitution de partie civile auprès des ménages et n’hésite pas à assigner l’administration quand celle-ci refuse de prendre un arrêté sur un logement.